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Déposer un brevet : est-ce toujours vraiment nécessaire?

Parole d’expert | 30 avril 2018

« Pourquoi déposer un brevet »? La question revient souvent et vaut la peine d’être posée. Parce qu’avant d’entreprendre des démarches pour protéger sa propriété intellectuelle, mieux vaut savoir dans quoi on s’engage, et pourquoi on le fait.

Quelle est la véritable protection qu’offre la détention d’un brevet? Est-ce que cela en vaut toujours la peine si on considère la complexité des démarches et des coûts qui y sont attachés?

Pour répondre à ces questions, il faut d’abord bien expliquer la raison d’être du brevet.

Qu’est-ce qu’un brevet?

Le brevet constitue l’une des quatre façons par lesquelles on peut protéger sa propriété intellectuelle, les autres étant la marque de commerce, le droit d’auteur ainsi que le dessin industriel.

Pour être brevetée, une innovation ou une invention doit répondre à trois critères principaux. Elle doit à la fois constituer une nouveauté - et ne jamais avoir été dévoilée publiquement -, être utile et être inventive. Ce dernier critère s’applique à toute amélioration d’un objet ou au perfectionnement d’une technique, à condition qu’il y ait une disctinction avec ce qui existait déjà. Si ce n’est pas le cas, l'innovation ou l'invention est dite « non évidente », et ne peut être brevetée.

Sinon, le brevet couvre les inventions portant sur les produits, la composition d’un matériau, les appareils et les procédés ainsi que tout perfectionnement d’une invention déjà existante.

Pourquoi devrais-je breveter?

Le brevet vous offre le monopole de la fabrication, de l’exploitation et de la commercialisation de votre innovation pendant une période donnée et maximale de 20 ans.

Le monopole de commercialisation devrait vous permettre d’échapper au principe de la libre concurrence, à moins que vous ne décidiez de céder les droits de votre brevet. Cette exclusivité vous permettra également de récupérer plus rapidement vos investissements en recherche et développement.

De plus, détenir un brevet constitue souvent la meilleure façon de conférer de la valeur à votre projet d’affaires. Il rassurera les financiers que vous souhaitez intéresser à votre entreprise, notamment les firmes de capital-risque qui s’attarderont beaucoup à votre propriété intellectuelle avant d’investir.

Est-ce que c’est pour moi?

La question des brevets ne concerne pas toutes les PME. Encore aujourd’hui, le dépôt d’un ou de plusieurs demandes de brevet constitue surtout un incontournable pour les entreprises du secteur des hautes technologies, comme celles du génie ou des sciences de la vie.

Selon les chiffres de l’Organisation mondiale de la Propriété intellectuelle (OMPI), c’est dans les domaines de l’informatique et de la communication numérique que le plus grand nombre de demandes de dépôt ont été réalisées en 2015, soit plus de 16 000.

Quels sont les facteurs à considérer avant d’entreprendre des démarches?

Demander un brevet, c’est donner de la visibilité de son innovation, et donc risquer d’être imité. En déposant votre demande de brevet, vous fournissez aussi une description détaillée de l’innovation que vous souhaitez faire breveter et rendez cette information publique.

D’une certaine façon, déposer une demande de brevet équivaut parfois à lancer une invitation à être copié plutôt que d’être protégé. Vous devez être conscient que vous augmenterez la visibilité de votre innovation, et donc les risques d’être imité.

Si un tel scénario survient, il vous faudra alors faire valoir vos droits en court, et y consacrer des dollars que vous ne possédez peut-être pas. Le brevet ne vous donne donc pas le droit d’interdire l’imitation, mais plutôt l’assurance de gagner si vous prenez la décision de poursuivre en justice celui qui vous imite. Or, là encore, cela suppose que vous ayez les reins suffisamment solides pour vous engager dans une procédure judiciaire souvent longue et coûteuse. Avez-vous en tant que PME ou PMI les moyens de défendre votre invention sur l’ensemble de la planète et éventuellement contre de grands groupes industriels et financiers? Poser la question, c’est déjà un peu y répondre.

Quelles sont les alternatives au brevet?

Dans certaines situations, le secret industriel devient la stratégie la meilleure à adopter afin de rester sous le radar des grandes entreprises. Il vous faudra alors signer des ententes de confidentialité avec tout employé ou partenaire d’affaires susceptible de connaître votre « recette ».

À la différence du brevet, le secret vous permet donc de ne pas avoir à dévoiler votre invention au grand jour et donc de limiter les risques de voir votre innovation copiée. Cependant un bémol est à apporter. L’obligation d’avoir à signer des ententes de confidentialité pour discuter de tout et de n’importe quel projet finit par être irritante. Il faut se le dire, à l’heure de l’ «Open Innovation » et de l’économie de partage, l’idée que l’on ne peut discuter de son projet parce que « trop unique » semble dépassé. La terre de l’innovation, la Silicone Valley, n’a-t-elle pas pour culture d’affaires : « No bullshit, no secret»?

Sinon, le positionnement commercial est également une bonne protection naturelle. L’imitation n’est pas seulement une question de moyens, mais également de temps. Si votre innovation est déjà fortement implantée et reconnue sur le marché, toute imitation sera rendue plus difficile. Surprendre ses concurrents par l’originalité d'un produit tout en inondant le marché constitue souvent la meilleure défense.

Le brevet en quelques chiffres

Comparativement aux autres pays industrialisés, le Canada est un élève moyen en matière de dépôt de brevets. Même si l’on constate une augmentation de 3,4 % du nombre de brevets internationaux déposés par des compagnies canadiennes depuis 2013, selon les statistiques de l’OMPI, le Canada se situe au 11e rang du classement mondial.

De plus en plus de PME sont réfractaires à entamer les démarches pour déposer un brevet. Une protection réellement perméable coûte cher - il faut compter en moyenne entre 10 000 $ et 75 000$ -, mais est également complexe et longue. Un tel investissement en argent comme en temps est souvent considérable pour une jeune PME ou PMI en démarrage ou en développement.

Un magazine d’affaires français, L’Usine Nouvelle, avait conduit il y a quelques années une enquête auprès d’une centaine de petites et moyennes industries innovantes. Résultats très révélateurs. L’étude avait montré que 56 % des firmes qui avaient déposé un brevet international avaient été imitées, contre 52% de celles qui n’avaient fait aucun effort particulier de protection, et 44 % de celles qui s’étaient contentées d’un brevet national.

Dans la plupart des cas, le brevet achètera surtout une certaine sécurité d’esprit plutôt qu’une protection réelle et complète. Pour les entreprises technologiques, il constitue toutefois une protection indispensable aux yeux des investisseurs. Soyez réalistes : dans tous les domaines d’innovation, et plus particulièrement dans celui très bouillonnant des entreprises en démarrage, il est fort à parier que quelqu’un d’autre travaille également sur votre idée aussi géniale et unique qu’elle puisse être.

Finalement, si vous estimez que le dépôt d’une demande de brevet se justifie, et décidez d’aller de l’avant, assurez-vous tout de même d’étudier l’impact commercial de votre produit et de vous assurer de la possibilité de l’exploiter dans l’année suivant le dépôt. Un brevet déposé trop tôt avant la commercialisation risque de vous fragiliser et de donner un avantage à vos concurrents.

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Cet article a été rédigé par une Conseillère aux entreprises de PME MTL Centre-Ouest

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