Projet de loi 96 : ce qui change pour les employeurs
Avec l’entrée en vigueur du projet de loi 96 en juin 2022, les entreprises doivent se conformer à plusieurs nouvelles exigences linguistiques. Elles concernent tant les communications avec la clientèle et le personnel que les contrats et l’affichage public, la publicité, et plus encore. Petit guide pour vous aider à mieux vous y retrouver.
Premier changement majeur : depuis l’adoption de la Loi sur la langue officielle et commune du Québec, le français, qui apporte des modifications importantes à la Charte de la langue française (loi 101), entre autres, un plus grand nombre d’entreprises devra détenir un certificat de francisation attestant de leur conformité aux exigences linguistiques.
En effet, la Charte s’applique dorénavant aux entreprises de 25 employés et employées et plus – plutôt que 50. De nombreuses PME doivent donc se soumettre à un programme de francisation et généraliser l’usage du français dans leurs activités au Québec. Elles avaient jusqu'au juin 2025 pour obtenir un certificat de francisation auprès de l’Office québécois de la langue française (OQLF).
Cette nouvelle règle n’est pas sans causer des inquiétudes chez les personnes dirigeantes de PME. « Les entreprises doivent procéder à des analyses détaillées de leurs opérations pour développer un programme de francisation. Elles doivent aussi produire sur une base régulière différents rapports sur leurs activités. Cela représente un fardeau administratif supplémentaire qui peut être plus ou moins lourd pour les petites entreprises », explique Alexandre Fallon, associé chez Osler.
De nouvelles obligations en matière de recrutement
Offres d’emploi, contrats de travail, communications écrites concernant les conditions d’embauche ou de cessation d’emploi… Les employeurs sont déjà tenus de fournir toute documentation reliée au travail en français en vertu de la Charte. Le projet de loi 96 a toutefois renforcé ces obligations et imposé de nouvelles exigences, notamment en ce qui concerne la publication des offres d’emploi.
Si une offre est publiée en anglais (ou dans une autre langue), l’entreprise doit dorénavant la diffuser simultanément en français sur la même plateforme (LinkedIn, par exemple) ou sur une plateforme semblable qui rejoint un bassin de personnes candidates comparable.
« Les normes d’embauche sont aussi plus strictes qu’avant lorsque la connaissance d’une autre langue que le français est exigée comme condition d’emploi », explique Alexandre Fallon.
« L’entreprise doit procéder au préalable à une évaluation des besoins linguistiques réels associés aux tâches des postes à pourvoir et s’être assurée que le personnel en place n’a pas déjà les connaissances linguistiques suffisantes pour les accomplir. Cette analyse doit être documentée. Si une personne conteste cette exigence devant les tribunaux, l’entreprise devra prouver qu’elle était justifiée. »
« Les nouvelles dispositions de la loi restreignent également le nombre de postes pour lesquels l’anglais, ou une autre langue, et deviennent une condition d’embauche », poursuit l’avocat.
Prenons l’exemple d’une entreprise dont 30 % de la clientèle veut être servie en anglais. Elle pourrait devoir limiter le nombre de représentants et représentantes au sein de son équipe des ventes en fonction de ce pourcentage, ce qui peut représenter un défi logistique pour s’assurer d’avoir toujours le personnel requis en place.
« Cette mesure peut se révéler contraignante en enlevant de la flexibilité opérationnelle aux entreprises », soutient Alexandre Fallon.
La vigilance est de mise
La nouvelle réglementation introduit un autre changement majeur susceptible de causer des difficultés aux entreprises si elles ne se conforment pas aux exigences de la loi.
« La réforme instaure un droit d’action privé. Cela veut dire que des entreprises ou des particuliers peuvent intenter des poursuites privées contre une entreprise faute d’avoir eu accès à des documents ou des services en français, explique Alexandre Fallon. Ces poursuites peuvent donner lieu à des dommages-intérêts, y compris des dommages-intérêts punitifs. Il y a aussi un plus grand risque de recours collectifs. »
Avant le 1er juin 2022, le seul recours possible était de déposer une plainte auprès de l’OQLF qui faisait enquête et aidait l’entreprise à élaborer un plan de mise en œuvre pour se conformer aux exigences de la loi. L’organisme n’avait pas le pouvoir d’imposer des pénalités monétaires. « Face à un manquement, il est toujours possible de déposer une telle plainte. Ce qui s’ajoute, c’est que l’entreprise s’expose également à des recours devant les tribunaux », précise l’avocat.
Les changements étant relativement récents, les tribunaux n’auraient pas encore été saisis de tels recours, selon lui. Ce n’est peut-être qu’une question de temps.
« Il n’y a plus de place à l’erreur. Les entreprises doivent faire preuve de vigilance », conseille Alexandre Fallon.