Montée en puissance de l’intelligence artificielle et automatisation, contraintes géopolitiques et relocalisation, changements climatiques et manque de main-d’œuvre : les défis de notre époque poussent de plus en plus d’entreprises d’ici à repenser leurs chaînes d’approvisionnement.
Dans le cadre du Rendez-vous Innovation Logistique organisé par PME MTL, eLog, Innovation Canada et Deloitte, l’animatrice Valérie Judd-Rohal, gestionnaire principale chez Deloitte s’est adressée à trois spécialistes du domaine afin de mieux orienter les entrepreneures et entrepreneurs locaux dans l’optimisation de leurs activités logistiques à l’ère où la complexité des problématiques continue de s’accentuer.
Parole aux experts Julien Billot, président de Scale AI, Stéphane Drouin, vice-président, achat québécois et développement économique chez Investissement Québec et Michel Girard, président de Drakkar Logistique.
1. Avec ChatGPT, l’intelligence artificielle soulève les passions partout dans le monde. Elle comporte beaucoup de bons côtés, mais aussi des risques. Quels sont les risques associés à l’implantation de l’IA dans les chaînes d’approvisionnement?
Julien Billot : « Il faut d’abord savoir qu’il existe plusieurs types d’IA avec des spécificités différentes. Par exemple, l’IA qui crée des contenus n’est pas la même que celle qui analyse la qualité des pommes de terre. Les technologies servant aux chaînes d’approvisionnement ne posent pas de problèmes quant à la vie privée ou au maintien de la démocratie.
À mon sens, le plus grand risque pour les entreprises, c’est donc de ne rien faire. Au Canada, on n’investit pas beaucoup en TI, mais ailleurs, oui. Dès qu’une entreprise d’ici va se mesurer à la concurrence internationale, elle verra que la compétition est forte. Pour rester dans la course, il est impératif de bouger. »
2. Dans le monde des affaires, on parle beaucoup de relocalisation des activités de production d’une entreprise à leur emplacement d’origine (reshoring). Est-ce réaliste pour les entreprises québécoises d’y songer dans le contexte actuel de pénurie de main-d’œuvre?
Stéphane Drouin : « Avec tous les changements climatiques, géopolitiques et technologiques qui s’opèrent, les entreprises savent sûrement que les chaînes d’approvisionnement ne seront plus "comme avant". Et la régionalisation fait partie des grands courants qu’on observe actuellement.
Au Québec, on doit composer avec des défis comme le vieillissement de la population. Dans les 25 prochaines années, pour chaque personne qui va partir à la retraite, il y en aura 0,8 qui entrera sur le marché du travail, alors c’est certain qu’on doit investir en productivité.
Mais il faut penser à tous les avantages aussi et oser voir le Québec comme une source d’approvisionnement de calibre! On a de l’énergie verte au Québec ; des secteurs technologiques, techniques et de sous-traitance très performants ; des entrepreneur(e)s fiers et fiables.
Il faut miser là-dessus et se servir de la situation actuelle pour renforcer notre position dans la chaîne d’approvisionnement nord-américaine qui est en train de se façonner. Notre travail à Investissement Québec, c’est justement de renforcer les chaînes d’approvisionnement pour que nos fournisseurs locaux deviennent des fournisseurs de classe mondiale. »
3. Quel est le plus gros obstacle observé en matière d’optimisation de l’entreposage et de la distribution par les entreprises souhaitant automatiser leurs opérations?
Michel Girard : « Je dirais qu’il y en a deux. Le premier étant le financement. Il faut un investissement important et un accès au capital pour pouvoir lancer un projet d’automatisation. Le deuxième, on en parle énormément, c’est évidemment la disponibilité de la main-d’œuvre. Depuis cinq ans, trouver les bonnes personnes pour réaliser les améliorations est devenu plutôt difficile. »
4. Quelles sont les ressources auxquelles ont accès les entreprises pour transformer les défis en opportunités?
Julien Billot : « Investir en intelligence artificielle peut effectivement être difficile parce qu’il faut accepter qu’il y ait un coût de départ très élevé avant de voir un retour sur la productivité. Scale AI a donc été créée pour aider les entreprises à implanter l’IA dans le processus entourant leur chaîne d’approvisionnement.
Notre rôle premier est d’aider à financer ces projets et d’accompagner les entreprises en les mettant en contact avec les bons partenaires de l’écosystème. »
Stéphane Drouin : « Investissement Québec offre un programme gratuit d’accompagnement aux entreprises pour les aider à trouver des fournisseurs au Québec. Il nous arrive même d’attirer des partenaires étrangers pour pallier le manque de ressources au Québec lorsque nécessaire. Nous mettons aussi à la disposition des entreprises des outils comme un calculateur du coût d’importation et, bientôt, un calculateur des gaz à effet de serre liés au transport. »
5. Quelles sont les tendances émergentes liées aux chaînes d’approvisionnement à surveiller dans le marché, selon vous?
Michel Girard : « La cohabitation humain-machine. La clé de l’automatisation des chaînes d’approvisionnement, ce n’est pas d’avoir des machines qui travaillent toutes seules, mais bien de réussir à cohabiter avec elles. C’est d’avoir des humains et des robots qui travaillent côte à côte, par exemple, pour combler les manques et optimiser la productivité. »
Stéphane Drouin : « La résilience. Le niveau de risque et de vulnérabilité des chaînes d’approvisionnement va continuer d’augmenter. Les entreprises doivent donc être résilientes en faisant les choses différemment, en identifiant des plans A, B et C. On n’avait pas de plan B pour la COVID, mais là, par exemple, on sait qu’on doit repenser nos chaînes d’approvisionnement en fonction des tensions politiques avec la Chine. »
Julie Billot : « La technologie n’est plus seulement une affaire de multinationales. De plus en plus de , de fleurons québécois, commencent sérieusement à se poser des questions et à implanter l’IA. Cela pousse les fournisseurs à développer des solutions atteignables et abordables. C’est rassurant! »
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