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La longue route vers l’adoption des innovations en santé

Parole d’expert | 20 mai 2022

La pandémie a mis sur le devant de la scène le besoin d’accélérer l’adoption des innovations dans le réseau de la santé. Les entreprises qui ont des solutions à proposer se heurtent toutefois à de nombreux obstacles au déploiement de leurs solutions dans les milieux de pratique. Au sein du réseau de la santé, il y a néanmoins une volonté de faire mieux.  

Pour qu’elle soit adoptée, une innovation en santé doit répondre à un besoin, le plus souvent médical ou organisationnel. Citons, par exemple, la productivité des équipes de soins dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre, l’accès aux soins (dont ceux à domicile), la qualité des services de santé aux patients, l’efficience du système de santé, etc. Bien identifier ce besoin n’est pas toujours simple. À qui la faute ? Le manque de données sur la performance et la valeur des services de santé offerts à la population est une des causes, selon Pierre-Alexandre Fournier, cofondateur de Carré Technologies.  

Il a déjà demandé aux responsables d’un hôpital québécois combien de patients étaient traités en cardiologie, pour quelle cause et le type de soins reçus. « Après quelques mois de discussions, on s’est rendu compte qu’ils n’avaient pas ces données qui leur auraient permis d’évaluer la performance de leurs services. Quand cette information manque, c’est difficile pour le réseau de définir les besoins prioritaires et les investissements requis et, par le fait même, pour une entreprise de proposer les solutions appropriées », a expliqué l’entrepreneur lors d’une table ronde sur les enjeux et barrières à l’adoption des nouvelles technologies qui s’est tenue dans le cadre de la conférence Wear It Smart, le rendez-vous du vêtement intelligent organisé par Vestechpro.  

« Les données, c’est le nerf de la guerre, convient Daniel Sinnett, directeur de la recherche, enseignement et innovation au CIUSSS du Nord-de-l’Île-de-Montréal. Les établissements ont les données, mais ils n’ont pas la capacité de les traiter pour répondre à des questions aussi simples que le nombre de patients dans un service. C’est une question d’infrastructure informatique qui fait qu’on navigue à l’aveugle. »  

Une plateforme d’analyses décentralisées des données en lien avec la COVID-19 — le projet CODA-19 — qui est en déploiement dans une dizaine d’établissements est un premier pas dans la bonne direction, selon M. Sinnett.  

 

Financement inadéquat  

Il y a aussi les modes de financement du réseau de la santé, qui ne favorisent pas l’adoption car les budgets des établissements incitent à maximiser les économies à court terme, sans considération sur les bénéfices à moyen et long terme que pourrait apporter une innovation sur le système de santé et les patients, selon Alain Bakayoko, directeur Commercialisation et Innovation –Sciences de la vie et Technologies de la santé chez PME MTL, qui était aussi l’animateur de la table ronde.  

« C’est ce qui fait qu’il y a probablement des problèmes de santé qui mériteraient un investissement de 100 millions de dollars et pour lesquels on alloue des enveloppes de 50 000 $. C’est malheureux », ajoute Pierre-Alexandre Fournier. 

 

Des pays plus ouverts à l’innovation 

Son entreprise, Carré Technologies, a mis au point le vêtement intelligent Hexoskin qui mesure les signes vitaux des utilisateurs, que ce soit des sportifs de haut niveau, des patients et même des astronautes de la NASA (sous le nom Astroskin). Un produit innovant qui a fait le tour de la planète. 

Selon l’entrepreneur, il n’est pas étonnant que des entreprises technologiques québécoises se tournent vers l’exportation pour aller là où la collecte et l’analyse de l’information dans les réseaux de la santé est faite correctement — c’est le cas notamment en Europe et aux États-Unis.  

« C’est ce qui facilite l’adoption de l’innovation, affirme-t-il. Au Québec, si on veut vraiment avoir une politique d’innovation au ministère de la Santé, il faut avoir un vrai programme d’analyse de la qualité et de la valeur des services pour définir des priorités et lancer des appels d’offres. On devrait à ce moment-là être capable d’avoir des projets qui ont de l’ambition. » 

 

Un environnement complexe en évolution 

Une autre barrière importante, c’est la complexité du milieu de la santé. « Il y a une multitude d’acteurs, que ce soit les établissements de soins, les professionnels de la santé, les agences réglementaires, les payeurs et les patients qui sont les utilisateurs finaux. Chaque partie prenante a ses propres attentes en matière notamment de qualité et d’efficience. Il faut donc que les innovateurs en tiennent compte, et ce, dès la conception de leur produit », soutient Alain Bakayoko, dont le service est en mesure d’accompagner les entreprises innovantes qu’elles soient en démarrage ou proches de la commercialisation pour les aider à structurer leur modèle d’affaires, valider leur marché et accéder au financement. 

 

Profiter du momentum 

Les astres semblent toutefois s’aligner pour favoriser le virage technologique dans le réseau de la santé. « La pandémie aura eu un effet catalyseur en démontrant l’utilité de la technologie ne serait-ce qu’avec la télémédecine qui tend à se développer, et pour laquelle les vêtements intelligents peuvent faire partie de la réponse », explique Julia Guérineau, gestionnaire de la recherche et de l’innovation chez Vestechpro.  

Il y a une réelle volonté gouvernementale de se tourner vers les solutions innovantes. « Notre priorité, c’est d’établir un processus très clair d’adoption des innovations. Avec les établissements, on travaille très fort pour bien communiquer nos besoins afin que les innovateurs aient une idée juste de ce qui s’en vient et travaillent dans cette direction », affirme Hasna Rouighi, directrice du Bureau de l’innovation au ministère de la Santé et des Services sociaux. 

Bref, les barrières commencent à tomber, ce qui est de bon augure pour les entreprises innovantes. 

 

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